Depuis quelques mois, Cyril Molard a touché tous les esprits, il a marqué de son empreinte le monde des gastronomes, il a estampillé sa maison Ma Langue Sourit sur la carte des hautes références du Grand-duché de Luxembourg.
Quel chemin parcouru pour ce chef originaire des Vosges et charcutier à l’origine. Nous le connaissons depuis le temps de La Pomme Cannelle, lorsqu’il s’essayait déjà à des associations que personne n’aurait alors imaginées. Voilà dix ans qu’il a planté son décor rue de Remich à Moutfort. Dix années d’un travail de longue haleine et de remises en question. “Il est vrai que nous n’avons jamais été satisfaits de ce que nous faisions, que nous étions perpétuellement dans l’incertitude, mais c’est certainement cela qui nous a aidé à avancer”, confirme Cyril, “puis il y a eu une belle évolution de la clientèle qui a toujours été très proche de nous. Nous avons des clients qui viennent depuis très longtemps et qui nous en ont amené d’autres. Aujourd’hui nous jouissons d’une clientèle un peu plus internationale ce qui rend les choses encore plus intéressantes.” Il nous explique aussi qu’au Luxembourg, il faut un peu plus de temps qu’ailleurs pour se faire connaître, qu’il faut acquérir une certaine notoriété, faute de presse gastronomique dans la région, indispensable pour se faire entendre.
Que faire dans ce cas sinon se poser une multitude de questions et cela depuis le tout début, chercher à comprendre ce que les gens désirent, se demander si ce pays a vraiment une vocation gastronomique. “Et c’est le cas. Le luxembourgeois aime la belle cuisine et il n’hésite pas à parcourir les tables du monde entier. Le paradoxe c’est qu’il en fréquente nettement moins dans son propre pays. Il y avait donc un vrai travail à faire, surtout que le Luxembourg avait effectivement perdu pas mal de maisons référencées et que le Luxembourgeois ne se faisait en fait plus une très bonne idée de la gastronomie de son pays. Il ne rencontrait plus beaucoup de tables d’exception comme il pouvait en rencontrer à l’étranger.”
Évolutions
Arrive ce fameux jour où Cyril fond en larmes, ce jour où il entre dans un club très sélect qui ne compte que deux membres au Grand-duché de Luxembourg. “C’était comme un rêve de gosse. C’est comme si j’avais grimpé l’Himalaya et ressenti cette incroyable sensation d’être au sommet. Cet accomplissement m’a rempli de fierté. Je suis parti de rien comme charcutier à la base, sans personne pour m’aider, sans argent et sans personne pour me financer.” Des travaux avaient également eu lieu fin 2017 pour lesquels Cyril avait fait appel à de nombreux artisans, des gens particuliers qui avaient une âme, comme il nous l’explique, ainsi qu’à une architecte d’intérieur, Élodie Fosse, qui a fait de sa maison un véritable bijou où métal, pierre et boiseries se tutoient en toute harmonie. Quelles ont été les autres évolutions et notamment en cuisine?
“Nous sommes surtout restés sur nos idées, à ne jamais faire ce que font les autres. Tu peux bien sûr t’en inspirer mais il est important de rester dans ton propre système de travail, de faire ce qui t’appartient. Et surtout d’avoir envie de manger ce que tu envoies à table, c’est très important. Construire un plat ne part pas pour nous d’une intention esthétique destinée à Instagram mais bien de la réflexion de me demander si je mangerais volontiers ce plat si je le voyais dans un restaurant. Je n’ai jamais cherché à intellectualiser ma cuisine, je n’ai pas envie que les gens réfléchissent trop à ce qu’ils mangent. Beaucoup me disent qu’ici les goûts on les perçoit, on les ressent, c’est différent, et avec le temps je me suis aperçu que c’est cela que les gens recherchent, la visibilité et la lisibilité d’un plat. C’est ce qui les pousse à revenir ici.”
Tous amis
Il est vrai que la cuisine de Cyril est plutôt unique avec son petit côté aventurier qui n’a pas peur de changer les choses. Cyril est un chef comme on en rencontre aussi en Belgique, ce genre de chef qui ne s’installe pas dans une zone de confort, à ne plus rien vouloir changer, de peur de perdre ses distinctions. Sa cuisine, comme il le souligne encore, a évolué dans la précision, c’est une cuisine où les condiments trouvent leur place, rendant les plats plus sains, plus digestes. Son côté aventurier se traduit tout particulièrement par des associations très personnelles, qui nous amènent parfois à nous demander d’où il peut bien tirer son inspiration. “Il n’y a pas d’autre solution que celle de travailler encore et encore pour comprendre et intégrer les goûts. C’est un peu comme une palette de couleurs où plus tu avances, plus les couleurs se multiplient et plus tu les maîtrises. Chacun possède bien sûr sa propre palette et avec le temps, tu sais presque d’instinct quelle couleur correspond à une autre. Cela me mène à une cuisine que je ne veux pas qualifier de gastronomique, parce que tout le monde en fait, de la gastronomie. Je parlerais plutôt d’une cuisine gourmande, d’un restaurant de gourmandise où tu as envie de saucer chaque assiette.” L’entente entre chefs, déjà évoquée plus haut avec Paul, est ici aussi largement mise en avant. René Mathieu et sa cuisine végétale, Arnaud Magnier et sa cuisine bourgeoise, Ilario Mosconi et sa cuisine transalpine, Fabrice Salvador et sa cuisine de palace, Paul Fourier et sa cuisine classique, tous dans leur style et tous amis.
“Il n’y a aucune rivalité entre nous, aucune jalousie et nous nous entraidons tous, qu’il s’agisse de fournisseurs ou d’échanges de CV.” Est-ce suffisant pour assurer la notoriété culinaire du Luxembourg? “Il faudrait que les gens sachent un peu plus que nous sommes là.
Le Luxembourg possède un gros potentiel avec sa situation, au croisement de plusieurs pays.
Mais pour qu’il se développe, il faudrait que cela évolue dans le bon sens alors que j’ai plutôt l’impression que cela régresse. J’ai le sentiment que nous ne sommes pas encore suffisamment nombreux à vouloir mettre l’accent sur la gastronomie, que trop de restaurants manquent d’ébullition en cuisine, sans trop vouloir se creuser la tête pour proposer des plats plus originaux. J’espère que ma consécration va drainer les choses ici et donner aux gens l’envie d’avancer.” Un petit territoire, une grande cuisine, titrions-nous. À vous de l’explorer, ce n’est pas très loin de chez vous et cela vaut vraiment le voyage.