Julien Lahire

Superbe continuité

Il y a très longtemps de cela, une bonne quinzaine d’années oserions-nous dire, nous avions déjà écrit un article à propos de ce restaurant, mais il concernait la génération précédente. Le temps semble s’être arrêté en ces lieux mais l’impression est trompeuse car les choses bougent, et elles bougent bien. Julien Lahire est le quatrième de la lignée à faire briller cette perle ardennaise qu’est l’Auberge du Moulin Hideux.

Déjà rien que la route vous met les poils.

Le paysage est superbe, la région des Ardennes laisse entrevoir ses plus beaux atouts.
Le Moulin Hideux peut se targuer d’une solide réputation, forte de quatre générations successives de restaurateurs. Niché au milieu des bois et au bout d’un chemin, cet hôtel-restaurant a un charme fou et exprime bien sa riche histoire. Bien sûr avec le temps il a été modernisé quand même, histoire que sa clientèle fidèle revienne encore et toujours et qu’elle considère que le voyage en vaut vraiment la peine. Cette maison propose treize chambres, une piscine et un grand jardin luxueux aux nombreux endroits ombragés. L’endroit idéal pour un moment suspendu de lecture, d’autant plus que, vu sa situation, aucune couverture n’est possible pour les téléphones portables, une déconnection qui ajoute encore à la sérénité du lieu.

Typiquement ardennais

Notre entretien avec Julien se révèle assez surprenant. Ce n’est pas le genre de bonhomme à crier surtout les toits ô combien il est bon en cuisine, alors que son parcours personnel est plutôt du genre impressionnant, mais nous y reviendrons. Il n’a jamais vraiment quitté le Moulin Hideux même lorsqu’il construisait sa carrière à l’étranger. Il était persuadé que, quel que soit le chemin emprunté, il reviendrait toujours à la maison, lui qui avait grandi entouré de bois, de cerfs et de marcassins, lui qui tout jeune apprenait la cueillette des champignons ou observait les cuisiniers du restaurant préparer leurs plus belles créations. Il voulait vivre cela aussi.
Le restaurant vit le jour en 1947. Dans sa jeunesse, son arrière-grand-père et son grand-père cuisinaient au restaurant tandis que son père s’occupait du service. Après une jeunesse tranquille à l’auberge et des études sans souci, il rentre à l’école hôtelière de Namur pour apprendre les bases du métier. Deux années passionnantes qui le poussent
à en vouloir plus. “Je suis quelqu’un de plutôt réservé. Je sais ce dont je suis capable mais je ne le crie pas à qui veut l’entendre. La maison n’a aucune prétention ni moi non plus, d’ailleurs. Tout ce que je fais c’est donner le meilleur de moi-même et m’assurer que mes clients ne manquent de rien. Je ne sais pas si c’est typiquement ardennais, mais ça l’est pour nous.”

Façon de voir

L’interview s’interrompt à chaque fois qu’un client quitte l’hôtel, Julien prend le temps de le saluer personnellement, de répondre aux questions sur les plats de la veille et il reçoit les compliments avec humilité. Pourtant à la lecture de son parcours, l’on pourrait s’attendre à quelqu’un qui se la joue. Imaginez-vous qu’il commença par un passage chez Jannis Brevet au Inter Scaldes, une maison hautement référencée aux Pays-Bas. Puis chez Michel Troisgros, Michel Bras et la famille Santini, au sein de leur très réputé Dal Pescatore. “Grâce à ces maisons j’ai pu découvrir d’autres mondes et élargir ma vision de la cuisine. Cette passion et la connaissance que l’on retrouvait dans ces maisons étaient phénoménales. J’ai appris qu’il y avait bien plus que Le Moulin, moi qui n’avait jamais rien connu d’autre. À la maison, c’était un petit monde protecteur et là je pouvais m’ouvrir à tout. Chaque restaurant m’a apporté quelque chose.” Chez Bras, vous l’aurez compris,
c’est l’ultra local et le respect intrinsèque du produit qui le frappent. “C’est une chose à laquelle je tiens plus que tout aujourd’hui surtout que la région est riche ici mais le produit n’est pas toujours facile à trouver.” Chez les Santini il découvre toute la générosité de la cuisine italienne. “C’est cette façon de voir la cuisine typique de cette belle famille que j’essaie aussi d’apporter à mes clients. Comme ce que j’ai vu chez Bras dans la précision des dressages ou encore chez Troisgros en ce qui concerne l’organisation. L’on sortait un nombre impressionnant de couverts par jour et toutes
les assiettes étaient rigoureusement identiques. Et enfin de chez Jannis Brevet c’est particulièrement le souci du détail que j’ai retenu. Toutes ces leçons je les ai réunies et elles font aujourd’hui partie intégrante de ma cuisine.” En 2009 Julien revient à la maison pour prendre le poste de chef et en 2011 il décide de racheter les parts de ses parents. Il en avait vu assez.

La seule vérité

Son arrivée en tant que nouveau chef n’était pas placée sous le signe du grand bouleversement. Julien: “Il faut savoir que nous avons beaucoup de clients fidèles qui reviennent et qui sont habitués à une cuisine plutôt riche. Bien sûr il fallait que je conserve cette façon de cuisiner mais je voulais aussi y mettre ma patte. J’ai donc choisi de travailler progressivement et chaque année j’amène une petite transformation à nos classiques. Je les ai à présent modernisés sans toutefois toucher à leur identité. Nos clients ont ainsi grandi avec nous et j’ai pu du coup conserver cette fidèle clientèle. Ma cuisine est une cuisine généreuse et elle doit le rester. Les moments forts de notre maison sont l’automne et l’hiver, lors de la saison de la chasse, et mes clients doivent être surpris par l’extrême qualité des produits et leur préparation et non pas par tout un cirque autour. Les plats que je sors sont visuellement simples afin que nos clients puissent les lire aisément et ne soient pas obligés de poser tout un tas de questions. Le raffinement de ma cuisine se retrouve plutôt dans la somme de travail effectué en amont, en cuisine.” Lui parler de source d’inspiration, c’est déjà connaître sa réponse: se promener dans les bois. Il faut dire qu’il n’y a pas grand-chose d’autre à faire ici. “Vous savez, le fait de vivre dans un petit monde nous permet de faire ce que nous voulons. Nous avons nos propres herbes aromatiques, nos fleurs, nos ruchers, nous avons la chasse, les champignons, que voulez-vous de plus? Puis nos clients n’attendent pas autre chose et je peux ainsi
n’en faire qu’à ma tête. En ville je ne pourrais vraiment pas fonctionner. Suivre sans arrêt les tendances du moment et regarder ce que fait ton voisin, ce n’est vraiment pas pour moi. Je ne suis pas un cheval de course mais plutôt un cheval ardennais, tout en calme et contrôle. C’est la force que me procure mon environnement et c’est ce que l’on retrouve dans mes assiettes. Chaque plat parle ma langue et laisse entrevoir mon âme. Et c’est comme cela que cela doit être, pas autrement.” Entendre un chef s’exprimer est une chose mais la seule vérité qui compte se trouve dans l’assiette et nous ne sommes pas déçus car elle est concordante avec ses affirmations. Des produits reconnaissables, des notes acides, juste comme il le faut, des cuissons qui démontrent un vrai savoir-faire et surtout des assiettes qui ont une histoire. De quoi faire remonter des émotions aux plus aguerris d’entre nous. Que dire de plus sinon, allez-y!

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