D’aussi loin que nous connaissions la cheffe Arabelle Meirlaen il a toujours été question de santé dans sa cuisine, que ce soit à Huy dans son Li Cwèrneû ou aujourd’hui dans sa maison à Marchin, toujours dans la Province de Liège. C’est une Arabelle métamorphosée que nous retrouvons aujourd’hui ou en fait plutôt épanouie. Nous l’avions connue plus réservée, certes non dépourvue d’assurance, mais ce que nous ressentons aujourd’hui, nous ne l’avions pas encore vécu à ses côtés.
Est-ce l’impact de cette cuisine qui lui est propre? Sont-ce les années passées et l’assurance qui en découle? Entretien avec cette cheffe distinguée par les guides, la première femme à être nommée ‘chef de l’année’ en 2014. “Au départ”, entame-t-elle, “la cuisine que je faisais m’était avant tout destinée, pour rester en forme, vieillir en bonne santé et rester jeune le plus longtemps possible.
Je suis une femme qui travaille beaucoup et qui a besoin d’énergie. J’ai des enfants, je suis impliquée sept jours sur sept et la nuit cela cogite aussi. Ce que je souhaitais, c’était proposer une cuisine vivante, pleine de peps. Puis je me rappelle toujours de ma maman qui cuisinait très bien et ce que j’en retiens, c’est le goût qu’elle savait donner à ses plats. Ce sont ces mêmes saveurs que je souhaitais apporter ici et si en plus je pouvais y ajouter de la vertu, c’était parfait. C’est quelque chose que je fais depuis plus de quinze ans et aujourd’hui, je tiens à l’expliquer.” Arabelle poursuit en nous précisant que cela va faire trois ans qu’elle s’exprime pleinement, non qu’elle assume ses choix car c’est ce qu’elle fait depuis bien longtemps déjà, mais plutôt qu’elle les défend en y mettant les mots qu’il faut.
Avec moins de choses
“Je m’exprime maintenant bien plus. Ma cuisine était, je pense, déjà aboutie mais je ne le formulais pas de la même façon. Et la manière dont je la raconte depuis est plus attentionnée, notamment par le fait d’expliquer par quels chemins je suis passée, comme celui d’être à l’écoute des organes, par exemple. Désormais, j’ose parler de tout cela. Certaines personnes me disaient souvent qu’elles venaient ici pour passer un bon moment mais sans vouloir savoir ce qu’elles mangeaient. Aujourd’hui les choses sont un peu différentes depuis que j’en parle.
J’ai toujours qualifié ma cuisine d’intuitive et donc, à l’écoute du plus profond de soi. Cela n’a pas toujours été compris et même si je le définis mieux, les mots semblent toujours nécessaires. Pour faire court, la majorité des gens sont fort stressés et cela peut aussi être dû à leur alimentation. Mais à partir du moment où l’on connait le fonctionnement de son corps, on passe dans une autre dimension.” Sa cuisine toujours goûteuse, elle l’a voulue avec moins de choses pour mieux se concentrer sur la technique du goût et celle de la vertu. Elle nous explique qu’elle a étudié la médecine douce de nos ancêtres et qu’aujourd’hui, après différents cheminements, elle applique plus ce style de cuisine: “J’ai eu des étapes sans gluten, sans lactose et sans sucre. Ce sont des choses que l’on expérimente puis à ce jour je pense qu’il faut arriver à un équilibre entre tout cela.
On peut en effet utiliser du gluten, mais du bon, celui qui provient des blés anciens et traité sans pesticides.”
Les organes et les saisons
Mais en quoi consiste exactement sa cuisine intuitive si ce n’est, vous l’aurez compris, la résolution d’être principalement axée sur l’écoute de son corps et par découlement, sur la santé de ce dernier? Elle tient de plusieurs courants dont chacun exige étude et observation, comme pour le paradoxe de la toxicité des plantes et des légumes. “C’est un créneau très spécial car pour tout ce qui est plante ou légume avec des graines, il existe une toxicité. C’est en fait une protection naturelle de la plante, pour assurer sa germination. On ne peut se débarrasser de cette toxicité que lorsque l’on cuit sous pression ou que l’on torréfie. Ce sont des applications que j’ajoute au niveau des techniques de cuisson. Ou encore des cuissons douces sous une lampe pour vraiment conserver toutes les vitamines et extraire toutes les saveurs sans dénaturer le produit. C’est très intéressant car si l’on s’attarde sur l’intérêt de chaque produit en matière de santé, tous sont différents. Prenez l’exemple de la carotte, plus on la cuit, plus elle dégage de polyphénols qui sont d’excellents antioxydants.” Il y a le jardin qu’elle cultive, ce qui va de soi pour une cheffe comme Arabelle. Il y a ses souvenirs, aussi, de parents agriculteurs tombés malades à cause de leurs bêtes et qui l’ont sensibilisée à l’importance de ce que les bêtes mangent.
Si vous lui parlez de saison, elle n’évoquera pas uniquement le calendrier des légumes mais aussi celui des organes rattachés à chaque saison comme le poumon est lié à l’automne qui demande racines et saveurs piquantes ou encore les reins à l’hiver, eux qui nécessitent des saveurs salées puis en hiver, aussi, nous avons besoin de nourrir à nouveau le macrobiote, les bactéries naturelles, alors qu’au printemps il sera plutôt question de digestion, de végétaux, de vert, de pousses, de plantes comme l’ail des ours, le pissenlit ou les orties qui, selon elle sont de vraies bombes nutritives. “Avant que la science n’expertise tout ce qu’il y avait dans les vitamines, il existait un rapport évident de couleurs pour le bien-être. Tout légume orange était bon pour la peau, rouge pour le sang, vert pour l’estomac, l’intestin et le foie alors que le blanc aux saveurs plus piquantes s’apparentait plutôt aux poumons.”
Un ensemble
Mais Arabelle n’en reste pas là, cette quête du bien-être implique obligatoirement l’esprit et la mène vers la cuisine ayurvédique, cette cuisine ancestrale considérée comme un art et qui impose l’équilibre des cinq éléments comme celui des six saveurs, le sucré, le salé, l’acide, l’amer, le piquant et l’astringent. “C’est un ensemble, le développement de tous les sens, de l’éveil au niveau du regard sur la nourriture, comment la consomme-t-on, comment la sent-on, en la mangeant avec les mains, par exemple, car le toucher est très important. Manger avec les mains favorise la prédigestion. J’ai travaillé avec une femme médecin indienne car je n’arrivais pas à expliquer ce que je faisais, trop compliqué de mettre des mots dessus tandis qu’en ayurvéda ils expliquent toutes ces choses si simples alors que nous avons tendance à les oublier. Cependant, je sens bien que je ne dois pas trop expliquer mais juste montrer qu’il est possible d’intégrer cela à notre cuisine et que chacun le peut. Les gens doivent réapprendre à goûter la cuisine et à savoir ce qui leur convient.” Tout cela l’oriente vers une cuisine qui lui est propre et surtout dépourvue de stress où produits de saison inhérents aux organes s’imposent à elle et qu’elle cuisinera de la façon dont elle a envie de les manger sur l’instant, sans trop réfléchir, en se concentrant sur ce que la nature a à lui offrir et surtout sans regarder chez le voisin. Du côté salle, la démarche est la même si l’on évoque Pierre, son mari. Il va de soi que les vins natures occupent une grande place mais aussi les limonades maison, les kombuchas, les kéfirs ou autres fermentations naturelles. Tout simplement parce que les saveurs acides alcalinisent l’estomac. Puis cela offre de belles alternatives pour qui ne boit pas. Évoquons aussi les macérations car dans cette maison le but est de ne rien jeter mais plutôt de tout conserver. “Ici les cuisiniers sont épanouis parce qu’ils apprennent tout de A à Z. Car c’est bien de transformer en cuisine, mais encore faut-il savoir l’utiliser pleinement et en ce sens il reste encore beaucoup de choses à faire.”
Équilibre
C’est donc une Arabelle pleinement épanouie à qui nous faisons face, une cheffe qui suit son chemin, convaincue de sa route dont elle ne se départira plus jamais. “J’aime une cuisine qui me fait vibrer, qui suscite des woaw tellement c’est bon. Je voulais être différente des autres, être personnelle et surtout oser faire ce dont j’avais envie. Et cela ne pouvait pas être plus personnel qu’en la réalisant d’abord pour moi. Ce n’est pas une cuisine diététique car ce n’est pas de cela que je parle. Ce que je veux c’est produire une ligne de conduite équilibrée.
Ce n’est pas non plus une cuisine végétarienne même si j’aimerais des fois arriver à du 100% végétal, mais il faut de l’équilibre et je sais
qu’à un certain âge il est important de conserver un petit pourcentage de protéines animales. Ce qui importe c’est de comprendre le fonctionnement de l’alimentation et de savoir comment votre corps l’assimile. Cette symbiose entre les aliments et l’impact que ces derniers ont sur votre organisme. Tout en restant gourmand, bien sûr.” Et si jamais cela vous semble un peu trop “hocus pocus”, nous vous invitons avec insistance à vous attabler dans ce restaurant imaginé comme une salle à manger car ce que nous avons pu y goûter nous a littéralement bluffés.